Rav Haim Yaakov Mamane
Lorsque Pessah arrive, nous entendons souvent dire : “Ces produits ne sont interdits que pour les Ashkénazes mais autorisés pour les Séfarades” ou “Ce ne sont que des kitnyot, qu’est-ce qui pourrait être problématique ?”. En effet, il existe des différences significatives dans les critères halakhiques de cacherout entre les Sefarades et les Ashkénazes au point d’autoriser un produit pour l’un mais l’interdire pour l’autre.
Les lois de la cacherout qui s’appliquent à Pessah présentent des défis plus importants pour les certificateurs de cacherout que le reste de l’année. Outre le chametz – produits contenant une des cinq céréales (blé, seigle, avoine, orge et épeautre) qui doivent être manipulées avec un soin particulier afin d’éviter tout contact avec des liquides – de nombreuses familles juives observent des interdictions supplémentaires concernant la consommation de kitniyot (légumineuses), comme le riz, le maïs, les haricots, les lentilles et les pois.
Le minhag de ne pas consommer de kitniyot remonte à l’époque des Rishonim. Il est rapporté par le Rama (Orach Chayim 453:1) et a été principalement adopté par les communautés ashkénazes.
Bien que les Séfarades n’aient pas adopté cette coutume, des différences existent entre les communautés. Au Maroc, par exemple, l’approche des kitniyot diffère de celle des autres pays séfarades. Si les Juifs marocains consomment la plupart des kitniyot, ils ne consomment pas le riz et les pois chiches. Il serait difficile de trouver un foyer marocain traditionnel, passé ou présent, qui consomme du riz à Pessah. Il en va de même pour les pois chiches, à l’exception des Marocains espagnols, dont beaucoup consomment traditionnellement des pois chiches à Pessah. En outre, certaines familles issues de quelques villes au Maroc ne consomment pas non plus d’autres kitniyot tels que le maïs, le sucre et les graines de sésame.
Toutes familles sont encouragées à continuer à honorer et à respecter les coutumes de leurs ancêtres aussi méticuleusement que possible.
Étant donné que les principales organisations de cacherout en Amérique du Nord sont généralement gérées sur la base de normes de cacherout ashkénazes, ces restrictions peuvent devenir contraignantes pour les Sépharades.
Il est intéressant de noter que les normes de cacherout ashkénazes sont souvent plus indulgentes que les normes de cacherout séfarades. Un exemple courant est le bishul akum, la nourriture cuisinée par un non-juif. Selon la coutume ashkénaze, si un Juif allume simplement le feu ou le four, la nourriture cuite par la suite est considérée comme bishul Yisrael, c’est-à-dire cuite par un Juif. Tant que la flamme reste allumée, la participation juive n’est plus requise. Pour les Séfarades, le juif doit prendre une part active dans la cuisson pour que la nourriture soit considérée comme bishul Yisrael. Cela implique de placer, remuer ou mélanger les aliments sur le feu avant qu’ils n’atteignent les premiers stades de cuisson.
Un autre exemple courant est le yashan. (La définition du yashan dépasse le cadre de cet article. Voir www.mk.ca/yoshon pour une explication plus approfondie). Bien que de nombreux Ashkénazes appliquent les lois de yashan et que de nombreuses organisations de cacherout l’acceptent. Cette pratique est plus stricte pour les Sépharades en accord avec le Shulchan Aruch (voir Shulchan Aruch, Yoreh Deah 293).
Cela dit, lorsqu’il s’agit de Pessah, les normes de cacherout ashkénazes sont généralement plus strictes que celles des Séfarades. Premièrement, comme mentionné ci-dessus, les Ashkénazes interdisent la consommation de kitniyot, et deuxièmement, l’approche ashkénaze du bitul (annulation) à Pessah tend à être plus stricte, comme nous le verrons plus loin.
On pourrait donc supposer que tant qu’un produit ne contient pas d’ingrédients à base de chametz, alors même s’il n’a pas de certification pour Pessah, il serait permis. On pourrait rationaliser en disant que la seule raison pour laquelle il n’a pas de certification est qu’il contient des kitniyot, et que les organisations de cacherout ashkénazes ne le certifieront donc pas pour Pessah – mais pour les Séfarades, qui consomment des kitniyot, quel pourrait être le problème ?
Nous allons voir que ce n’est pas si simple.
L’industrie alimentaire telle que nous la connaissons aujourd’hui est très complexe. Les méthodes utilisées pour produire ou dériver des ingrédients apparemment simples ont en réalité toute une science derrière elles.
Par exemple, l’acide stéarique peut être appliqué comme agent de revêtement à la surface des aliments pour les polir, préserver leur fraîcheur et empêcher l’évaporation de l’eau. Cela peut sembler assez innocent, mais en réalité, il s’agit d’une préoccupation majeure de cacherout. L’acide stéarique peut être dérivé de sources animales et végétales, ce qui exige évidemment qu’il soit certifié casher.
Un autre exemple courant est la vitamine D, qui est généralement extraite de sources animales, comme la chair des poissons gras et les huiles de foie de poisson. De nombreux aliments, dont les produits laitiers, les céréales et les suppléments, sont enrichis en vitamine D.
Des problèmes similaires se posent avec d’innombrables autres ingrédients et enrichissements présents dans les produits de tous les jours.
Un autre exemple est celui des jus de fruits à 100 % : qu’y a-t-il de mal à consommer des oranges fraîchement pressées ? Les jus de fruits doivent être pasteurisés avant d’être embouteillés. La pasteurisation est un processus par lequel un liquide est chauffé à une température élevée pendant un certain temps, dans le but de détruire les bactéries nocives. Les mêmes ustensiles utilisés pour chauffer du jus de raisin non casher ou d’autres produits non casher peuvent être utilisés pour chauffer ce même jus de fruit.
Outre la cacherout générale, des ingrédients apparemment innocents peuvent également poser de sérieux problèmes pour Pessah. L’acide citrique en est un exemple courant. Bien que son nom laisse entendre le contraire, l’acide citrique n’est plus dérivé des agrumes ; l’industrie alimentaire moderne dérive principalement l’acide citrique du maïs et du blé. Cela signifie que même ceux qui mangent du maïs à Pessah doivent obtenir une certification cachère pour l’acide citrique, car il peut également être dérivé du blé.
Un autre ingrédient courant est le vinaigre blanc. Le vinaigre blanc est produit par la fermentation d’un alcool, et la plupart des vinaigres blancs commerciaux sont fabriqués à partir d’alcool de maïs ou de grain. Même si l’on sait qu’un vinaigre blanc particulier est un dérivé du maïs – ce qui est généralement autorisé pour les Séfarades – il ne s’agirait pas simplement d’un problème de kitniyot. En Amérique du Nord, il est courant que les vinaigres à base de maïs et de blé soient fabriqués dans la même usine. On a constaté que de grands fabricants américains utilisaient la même eau recyclée pour les produits à base de maïs et de blé. Cela équivaudrait à préparer des légumes casher pour Pessah avec de la vapeur utilisée précédemment pour produire des pâtes !
Eh bien, pourquoi ces ingrédients potentiellement chametz ne peuvent pas être annulés lorsqu’ils sont mélangés avec une grande quantité d’ingrédients non chametz ? Pourquoi ne pas autoriser pour les Séfarades les aliments transformés “kitniyot” à Pessah, même sans certification de cacherout, en supposant que la quantité d'”ingrédients inquiétants” présents (comme l’acide citrique ou le vinaigre blanc) est suffisamment faible pour être annulée ?
Parce qu’à Pessah les règles ne sont pas aussi simples.
Nous savons que lorsqu’un article interdit ou non cachère tombe accidentellement dans un aliment cachère, si le rapport entre le non cachère et le cachère dans le mélange est inférieur à 1/60e (1,6 pour cent), nous appliquons la règle de batel beshishim, et l’aliment est autorisé à la consommation. Cependant, à Pessah c’est différent. Lorsque du chametz tombe dans un aliment casher LePessah pendant Pessach, selon toutes les opinions, nous n’appliquons absolument pas le batel beshishim – au point que même si le rapport entre chametz et non-chametz était de 1/1000e, l’aliment serait considéré comme du chametz et interdit à la consommation.
Cependant, le chametz qui est tombé dans la nourriture avant Pessah à un ratio de 1/60e a un statut plus discutable selon les plus grands poskim. Dans ce cas, pouvons considérer le chametz annulé avant Pessah comme les autres aliments interdits au cours de l’année et autoriser leur consommation, ou pouvons-nous dire que le chametz mélangé même avant Pessah ne peut jamais être annulé tout comme il ne peut être annulé lorsqu’il est tombé pendant Pessah ? En termes halakhiques, on appelle cela “Le chametz de Pessah est-il chozer veneor – réactivé ?”. Le 1/60e de chametz annulé avant Pessah se “réveille-t-il” à Pessah au point que nous aurions besoin d’un “nouveau” bitul, ce qui, comme mentionné, ne peut être accompli à Pessah et est donc interdit. Ou bien le chametz est-il “eno chozer veneor – non réveillé” à Pessah, et donc une fois qu’il est annulé avant Pessah, il est à jamais autorisé ?
Les Ashkénazes suivent l’opinion du Rema selon laquelle le chametz est “chozer veneor”, ce qui signifie qu’il “se réveille” et est donc interdit pendant Pessah. L’opinion du Shulchan Aruch, en revanche, est moins tranchée. Son approche contient une contradiction apparente, ce qui a donné lieu à un débat entre les poskim concernant les circonstances dans lesquelles le Shulchan Aruch applique ou non le bitul sur le chametz tombé avant Pessah.
Certains explique que le Shulchan Aruch limite la règle du bittul uniquement au chametz tombé dans une préparation par accident. Si le chametz se trouve présent intentionnellement dans la préparation (comme les ingrédients énumérés dans les produits commerciaux), ce chametz est « réactivé » et est interdit à la consommation pendant Pessach. D’autres avis limitent le bittul uniquement au chametz qui ne joue pas un rôle essentiel dans le produit. Cependant, le chametz qui joue un rôle indispensable, dans la structure du produit (davar ha’maamid) ou dans le goût, est « réactivé » à Pessach ce qui le rend interdit à la consommation.
De nombreux poskim séfarades, dont le grand rabbin le Chid”a (voir Birkeh Yossef Siman 447, Halakha 17), s’abstiennent de permettre tout chametz tombé dans la nourriture avant Pessach. Ceci est aussi l’opinion du rabbin Rephael Baruch Toledano qui écrit que lekatchilla, nous devons être méticuleux sur toutes les questions de chozer veneor. (Voir Kitzur Shulchan Aruch Toledano, Hilchot Pessach, Siman 397, Halachah 35).
Il est important de se rappeler que la discussion ci-dessus est basée sur la prémisse qu’il y a un bitul valide. Dans de nombreux scénarios, l’ingrédient de chametz n’est pas batel et le mélange est donc interdit, que le chametz soit chozer veneor ou non. N’oubliez pas que l’ingrédient doit représenter moins de 1,6 % du mélange avant que nous puissions même commencer à discuter de son annulation ! C’est une autre raison pour laquelle seule une agence de cacherout peut certifier un produit de manière fiable. De nombreuses entreprises ne révèlent pas la véritable formule de leurs produits et il est donc parfois impossible pour les consommateurs de savoir s’ils contiennent des ingrédients chametz en quantité négligeable ou non.
J’ai récemment été informé de l’existence d’un substitut de lait spécifique en apparence “kitnyot”. Les certificateurs de casherout à l’année longue de ce substitut de lait, nous ont confirmé que la formule contient aussi du lait d’avoine (qui est chametz) dans une proportion supérieure à 1/60e (une proportion qui est interdite par tous). Toutefois, étant donné que le lait d’avoine représente moins de 2 % de la composition, il n’est pas mentionné dans la liste d’ingrédients. C’est un élément qu’un consommateur ne peut pas savoir et une information qu’une entreprise peut ne pas révéler !
Pour la certification tout au long de l’année, les agences de cacherout engagent et font appel à des experts qualifiés pour étudier les méthodes d’approvisionnement et de fabrication de centaines d’ingrédients utilisés dans l’industrie alimentaire moderne. Il est certain que Pessah mérite la même attention et le même niveau d’expertise ! Même le consommateur le plus averti peut ne pas être au courant des subtilités de cette industrie fascinante mais complexe, sans parler de l’origine et de la quantité des ingrédients utilisés dans leurs fabrications.
A Pessach, nous devons redoubler d’efforts et éviter tout safek chametz. En fait, le Arizal mentionne que “Celui qui fait attention même à la plus infime quantité de chametz à Pessach est assuré de ne pas fauter pendant toute l’année.”
Le MK a lancé un nouveau projet qui vise à fournir à la communauté séfarade des produits kitniyot cacher LePessah. Ce projet ne peut être réalisé que sur le long terme avec un engagement constant et des efforts soutenus de tous les intervenants du MK. La priorité du MK est de garder les yeux ouverts depuis le moment où les ustensiles de Pessah ont été rangés jusqu’à l’année suivante ! Grâce aux efforts inlassables de notre équipe dédiée à la cacherout, nous espérons que la communauté en récoltera les fruits dans les années à venir et que l’offre de ces produits continuera de s’élargir.
Leshanah habaah beYerushalayim habenuyah
Chag Pessah kasher vesameach